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Coffee shop, une lente évolution

C’est une évidence, le développement des coffee shops français ne suit pas le rythme des pays anglo-saxons. Ce qui n’empêche le mouvement de prendre de l’ampleur sous l’égide d’une jeune génération aussi décidée que passionnée.

Channa Galhenage. Café Loustic

Jusqu’en 2001, les coffee shops n’étaient autres que des lieux dans lesquels se vendait du cannabis. C’est seulement à cette date que sont apparus aux États-Unis les premiers “bars à café”. En France, le premier “salon de café”, tel qu’elle l’a défini alors pour éviter toute confusion, fut créé en 2005 par Gloria Montenegro. En ouvrant la Caféothèque, l’ex-ambassadrice du Guatemala en France ouvrait la voie aux premiers coffee shops à la française. Une nouvelle opportunité pour les Parisiens de découvrir le café de spécialité sans omettre le travail déjà réalisé par certains torréfacteurs auparavant. L’installation des différents acteurs s’est donc faite à un rythme assez lent en comparaison de villes comme Londres, New York, San Francisco ou Melbourne. Et pourtant,
à ce jour, le marché parisien apparaît comme mature au regard de certains professionnels. La capitale n’a toutefois pas dit son dernier mot, à l’heure où de nombreuses villes dans l’Hexagone accueillent leurs premiers coffee shops. Nantes, Lyon, Bordeaux, Aix-en-Provence, Marseille : les lieux se multiplient, chacun avec sa propre personnalité.

Les précurseurs

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The Hood

Après Gloria Montenegro, d’autres acteurs sont vite apparus : Coutume Café, Lomi entre autres, et dès 2010, une deuxième vague avec des enseignes comme Ten Belles, KB Cafeshop ou Fragments qui figurent toujours parmi les lieux cités en référence. Loustic, ouvert en 2013 par Channa Galhenage, devait être un espresso bar, mais son propriétaire s’est vite aperçu que le modèle anglais n’était pas duplicable. Car si le consommateur italien franchit chaque matin la porte de son café de quartier pour avaler son ristretto avant d’aller travailler, le Français n’a quant à lui pas ce genre d’habitude. “Le client parisien, explique Channa Galhenage, vous demande immédiatement ce qu’il peut manger”. C’est pourquoi le coffee shop français propose en règle générale une offre de restauration variée, adaptée à la configuration du lieu et à la personnalité de son fondateur. De la simple pâtisserie maison à une offre plus large et plus travaillée, les coffee shops
savent se distinguer. The Hood, rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11e

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ONI

arrondissement, s’est fait le spécialiste du bánh mi, servi du petit déjeuner au déjeuner ; il peut s’accompagner de quelques pâtisseries. Dans le 9e arrondissement, Van Hoos & Sons apparaît lui aussi comme l’un des premiers acteurs du café de spécialité à Paris, d’abord avec un site de vente en ligne, avant l’ouverture d’une boutique rue Richer, en 2012. Luc Prouvost, le fondateur, y propose en permanence une vingtaine de cafés d’origine à acheter ou à consommer sur place en extraction douce, et une large gamme de machines et objets dédiés à l’univers du café, bien conscient lui aussi de ne pas pouvoir vivre uniquement de la vente de boissons. Dans son coffee shop de Limoges ouvert en 2013, Philippe Exbrayat a basé son modèle économique sur la vente de cafés en grains ou moulus, de machines et d’ustensiles dédiés à l’extraction.
Après deux années d’activité, il a choisi de délocaliser son atelier de torréfaction dans un local annexe, pour la tranquillité de ses clients, mais également afin de proposer des formations dans un espace plus adapté. Aujourd’hui il décide d’ouvrir un troisième lieu pour y développer une offre de restauration, bien conscient lui aussi que l’un n’allait pas sans l’autre.

La 3e vague

C’est le nom donné à la nouvelle génération de baristas qui essaime sur le territoire. Le café n’est en effet, plus l’apanage des Parisiens. Coffee Shop à Nantes, Mokxa ou Slake à Lyon, SIP à Bordeaux, Lag Coffee à Clermont-Ferrand : autant de nouveaux lieux de vie autour du café créés par des entrepreneurs au profil assez similaire, car tous ou presque sont issus d’une reconversion professionnelle. On remarque par ailleurs que leur parcours les a conduits à passer par New York ou Melbourne où ils ont découvert les coffee shops et les cafés de spécialité. Une immersion qui fût le déclic de leur installation une fois rentré au pays, et plus seulement à Paris. Chacun opte souvent pour la ville dont il est originaire, bien conscient du potentiel de la province. À chacun ensuite
de construire son identité et de se différencier. À Bordeaux, les frères Grodwohl ont réunis leur passion et leur savoir-faire pour ouvrir Oven Heaven, un coffee shop pâtisserie. Dimitri se charge de la sélection des cafés et de leur torréfaction, Kévin, le pâtissier, assure la fabrication de superbes viennoiseries, cakes, tartes et entremets proposés sur place ou à emporter.
3 LMGC—18AVRILTous deux sont attachés à la qualité des produits servis mais également à celle de l’accueil et de l’échange avec leurs clients. Une philosophie rapportée de leur voyage en Australie. Claire Longathe et Damiano Gasbarri, cofondateurs de ONI, ont posé leurs premiers sacs de café dans un local inoccupé du boulevard Saint-Martin à Paris. Ici, pas d’acquisition de fonds de commerce et l’opportunité d’aménager à leur guise et à moindre frais les 65 m2 de leur coffee shop. Tables hautes, table d’hôte, coin salon accueillent les clients le temps d’un café, mais aussi à l’heure du déjeuner où Claire propose une cuisine à la fois simple et originale, vrai levier de fidélisation d’une clientèle de quartier qui découvre par la même le café de spécialité. Et si les visages sont familiers durant la semaine, c’est lors des brunchs du week-end qu’apparaissent de nouvelles têtes, curieuses de découvrir le concept. Romain Fabry, avocat de formation, s’est tout d’abord converti à la torréfaction et à la vente de café aux professionnels, avant d’ouvrir La Compagnie du Café rue Notre-Dame-de-Lorette dans le 9e arrondissement. Dans un vaste espace lumineux de 100 m2, il a donc installé son torréfacteur, une cuisine, un L’équilibre financier étant ici basé sur la vente de café, de produits dédiés comme la Chemex®, la French Press ou la V60, le service des boissons, et la restauration pour laquelle deux personnes ont été embauchées à temps plein pour assurer la préparation des quiches, bowls, soupes, salades et pâtisseries. Olivier Xoual, PDG et cofondateur de Cloud Cakes, a choisi l’option végan pour se distinguer. En plus des cafés de spécialité proposés, il concentre son offre de restauration sur une carte où les ingrédients d’origine animale sont totalement absents. Un concept qui après un an et demi d’ouverture, assure une croissance de fréquentation et de chiffre d’affaires régulière.

L’évolution

Sur une centaine de coffee shops référencés dans la capitale, seule une quarantaine sont véritablement identifiés par les professionnels comme proposant des cafés de spécialité réalisés selon les règles. Un secteur que certains propriétaires jugent comme saturé, voire arrivé à maturité. Il reste de la place à Paris tempère Sofiane Hadjimi, fondateur de Blackburn – deux adresses dans la capitale – mais le business n’est plus si simple. “L’engouement des Parisiens pour les coffee shops et le succès fulgurant de certains ne doit pas laisser croire que tout est permis. Ouvrir son établissement avec une offre restreinte axée sur le café et les pâtisseries, de surcroît dans une rue discrète, n’est selon moi, pas le bon modèle explique Sofiane. Il ne faut pas se laisser berner par l’entrain soudain des réseaux sociaux pour quelques lieux ayant les moyens de s’offrir les services d’une agence de presse poursuit-il. Car c’est la pérennité qui compte, pas l’importance de la fréquentation des premiers jours. Ensuite, l’offre café-pâtisserie maison ne suffit pas, il est presque impératif de proposer des alternatives pour ne pas se priver d’une partie de la clientèle.” 3 LMGC—18AVRILNombreux sont effectivement les établissements servant du chaï latte, boisson indienne parfumée aux épices, grande tendance du moment, tout comme les boissons chocolatées ou les cocktails à base de lait végétaux. Le choix du local est aussi prédominant car le café n’est pas une “destination”, il faut pouvoir s’appuyer sur le flux des passants dans la rue. Les touristes sont souvent cités comme levier de croissance. Tous ou presque étant déjà sensibilisés au café de spécialité, ils sont heureux de trouver ce genre de lieu durant leur séjour. La proximité d’un hôtel qui ne sert pas ou très peu de petits déjeuners fait également partie des atouts permettant d’assurer une hausse de fréquentation et du ticket moyen. En dehors de Paris, les installations de coffee shops ont encore un bon potentiel, pour peu qu’elles reposent sur une offre cohérente et un accueil de qualité. Les coffee shops semblent donc avoir de beaux jours devant eux.

Michel Tanguy

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